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Dimanche 31 décembre 2023 - Fête de la Sainte Famille

Première lecture                  L’amour rend-il captif ?...
                       Une méditation d’Anthony DE MELLO (jésuite indien – 1931-1987)

 Qu’est-ce que l’amour ?...
Une rose peut-elle offrir son parfum aux bons et la refuser aux méchants ?
Une lampe refuse-t-elle d’éclairer parce qu’une mauvaise personne l’a allumée ? L’arbre donne son ombre aux braves gens aussi bien qu’aux mauvais !
L’amour ne fait pas de discrimination !

Faisons nôtre cette parole inouïe : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font ! » Nous pensons généralement que le mal est dû à la méchanceté ; en fait, il doit beaucoup à l’ignorance. Comprendre cela, c’est devenir capable de ne pas faire de discrimination, à l’instar de la rose, de la lampe, de l’arbre.

[...] Mais l’ultime qualité de l’amour est sa liberté.
Dès que les contraintes, la prise de contrôle ou les conflits entrent en jeu, l’amour se meurt. La rose, la lampe, l’arbre ne vous laissent-ils pas une liberté totale ? La rose ne cherche pas à vous séduire par le charme de son parfum ! L’arbre ne fait rien pour vous attirer dans son ombre quand vous risquez l’insolation ! La lampe n’a pas décidé de vous éclairer de peur que vous trébuchiez dans l’obscurité !

Attardez-vous un moment sur les pressions et les contraintes auxquelles vous vous soumettez quand vous voulez répondre aux espérances d’une personne afin de gagner son approbation, son amitié ou son amour ou parce que vous avez peur de la perdre. Chaque fois que vous vous soumettez à ces pressions, vous abîmez la capacité d’aimer qui définit votre nature même car vous ne pouvez que faire aux autres ce que vous permettez que l’on vous fasse à vous-même.
Examinez paisiblement ces contraintes auxquelles vous faites allégeance.
En vous en débarrassant progressivement, vous trouverez la liberté.
Et cette liberté-là est synonyme d’amour.

Évangile selon Saint Marc (extraits du chapitre 3)

À Capharnaüm, Jésus guérissait beaucoup de malades et annonçait sans relâche la Bonne Nouvelle. Il revient à la maison où, de nouveau, la foule se rassemble, si bien qu’il n’était même pas possible de manger.
Les gens de chez lui, l’apprenant, viennent pour se saisir de lui, car ils affirmaient :
« Il a perdu la tête ! » Les appelant près de lui, Jésus leur dit :
« Si un royaume est divisé contre lui-même, il est en péril.
Si les gens d’une même maison se divisent entre eux, ils ne tiendront pas le coup !
Tout sera pardonné aux enfants des hommes : leurs péchés et les blasphèmes qu’ils auront proférés. Mais pour celui qui blasphème contre l’Esprit Saint, il n’y aura pas de pardon. »
Jésus parlait ainsi parce que des gens disaient : « Il est possédé par un esprit impur. »
Alors arrivent sa mère et ses frères. Tant de monde est serré autour de lui qu’ils restent dehors, d’où ils le font appeler. On lui dit : « Ta mère et tes frères sont là, dehors : ils te cherchent. » Mais il leur répond : « Qui est ma mère ? Qui sont mes frères ? »
Et, parcourant du regard ceux qui étaient assis autour de lui, il dit :
« Voici ma mère et mes frères.
Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. »

Homélie
La dernière messe d’une année tombe rarement le tout dernier jour de l’année. Pour beaucoup, ce soir sera le temps des baisers sous le gui (?) et des vœux : bonheur, santé, paix. Mais ce dernier vœu est entouré de gravité cette année : nous savons que deux guerres vont perdurer et qu’avant d’entrer en 2024, des gens sont promis à la mort, aux mutilations, à être handicapés à vie !  
NB : Notre perception est étroite et partiale car les autres années aussi d’autres guerres étaient en cours : celle du SOUDAN, ÉTHIOPIE, ÉRYTHRÉE a fait entre 400.000 et 800.000 morts depuis 2018 ! Mais puisque, cette année, nous nous sentons davantage concernés, je lie aujourd’hui les thèmes famille et paix.

Mon point de départ : la citation du Dalaï Lama « La paix n’est pas l’absence de conflits mais la capacité de gérer les conflits de manière pacifique ».  
Le Hamas a déclenché une guerre le 7 octobre. Mais la sauvagerie exacerbée des agresseurs contre des civils est le couronnement, l’acmé, l’éruption d’une autre violence : le colonialisme pratiqué, choisi, décidé sciemment par Israël depuis des décennies. Pour les Palestiniens dont on arrachait les oliviers et rasait les maisons, la guerre n’a pas commencé le 7 octobre !  
Depuis les accords de Camp David en 1978 et les accords d’Oslo en 1991 – impression que cela fait un siècle ! – la « capacité de gérer les conflits de manière pacifique » a été remplacée par une politique qui faisait sciemment monter la lave strates après strates, une colonie après l’autre, une humiliation après l’autre, jusqu’à ce que le volcan crache sa force de destruction terrifiante.

Si, pour illustrer le défi de la paix entre les peuples, j’emploie la comparaison de la lave qui monte lentement dans la chambre magmatique et la cheminée du volcan, Paul DEWANDRE, habile vulgarisateur “Les hommes viennent de Mars ; les femmes viennent de Vénus“ illustrait le défi de la paix pour les couples par l’accumulation de sédiments, de grains de sable – petites vexations, manque d’attentions – qui finit par boucher un canal et cause un débordement. En famille aussi, la paix peut n’être que de surface : en-dessous, des bouillonnements peuvent n’être pas plus perceptibles que ceux du magma. 
Comme le magma contraint dans un espace clos, les difficultés relationnelles ont fermenté plus facilement dans les “maisons closes“ où le Covid contraignait à se frotter en permanence bien plus que dans la vie normale !

« Pas au sein de la Sainte Famille ! » dirons certains. Pour ces âmes pieuses, entre Marie, Joseph et Jésus, tout était évidemment lisse, sans aspérité. C’est faire peu de cas de la fugue de Jésus à 12 ans : le cri de Marie « Pourquoi nous as-tu fait cela ? » indique une sérieuse crise !  
De même, dans le passage entendu aujourd’hui où la famille de Jésus veulent le ramener de force à la maison, allant jusqu’à déclarer : « Il a perdu la tête ! » La famille de Jésus ne fait pas dans la dentelle !
La guerre intra familiale a-t-elle eu lieu ? L’évangile ne nous le dit pas mais ils semblent être passés à deux doigts : « Maintenant ça suffit, arrête de raconter tes bêtises : tu nous fais honte ! »  
Et, comme je le relève dans la petite formule encadrée du feuillet, c’est au nom du bien – revenir à des propos plus convenables – que la famille est prête à user de la contrainte : au sens propre, une “mise en demeure“ ! …Mais « Pas de contrainte en amour ! » prêchait Saint François-de-Sales.

Mais le plus surprenant est la réaction de Jésus ! Celui que l’on qualifie de « doux et humble de cœur » réplique non pas : « Comme je suis heureux de vous voir ! Asseyez-vous. On va vous servir un morceau de bûche. » mais : « C’est qui, ma mère, mes frères ? » L’évangile ne dit pas un mot d’une éventuelle parole gentille de Jésus.
Bien sûr, il serait intellectuellement malhonnête de prendre cet épisode au pied de la lettre : pour inciter les nouveaux convertis à « faire la volonté de Dieu », Marc et Cie ne se sont sans doute pas gênés pour mettre en scène ces paroles afin de les rendre plus convaincantes.  
Pour autant, n’évacuons pas trop vite le trouble que l’attitude de Jésus suscite en nous.  
Et si, en effet, Jésus était d’abord un homme éminemment libre ?  
Et si, en effet, Jésus avait été jusqu’à une forme de rupture avec sa famille de sang ?  
Et si, en effet, rechercher la vérité lui était plus essentiel qu’entretenir la cohésion familiale ?...

Pour ma part, j’imagine fort bien que, chez les proches de Jésus, s’est produit ce bouillonnement magmatique interne que j’évoquais tout à l’heure. Je me délecte de cette formule succulente : « À quoi reconnaît-on un saint homme ?... autour de lui, il y a beaucoup de martyrs ! » Sa saine ironie tape juste : il n’était pas facile d’être de la parenté de cet original nommé Jésus Bar Jozef – Jésus fils de Joseph. Dans un autre passage, les gens s’exclament : « N’est-ce pas le fils du charpentier ? On l’a connu tout petit ! Pour qui se prend-il ? » Et que sa mère et ses frères viennent lui demander « Mets-la un peu en sourdine : on est gêné de dire qu’on te connaît ! »  

Et, comme à 12 ans au temple, Jésus choisit sa mission, fût-ce aux dépens de sa famille : paraphrasant le texte que je vous ai trouvé comme première lecture, il aurait pu déclarer : « Je ne suis pas venu pour répondre à vos espérances, gagner votre approbation ou votre amour ou tout faire pour ne pas le perdre. Je fuis votre pression pour ne pas abîmer la capacité d’aimer qui définit ma nature même : aimer sans aucun compromis avec la vérité ! Vérité de ce que je suis. Vérité de la Parole reçue de mon Père. Quitte à risquer d’être seul ! »

Toute la liberté consiste à passer d’une vie subie à une vie choisie. Jésus a risqué cette liberté par rapport à sa propre famille. Saint Jean écrira : « La vérité vous rendra libres ! »  
Mais la vérité et la liberté ont souvent un coût : celui de la solitude. Faisons un pas de plus avec le sociologue et psychanalyste Erich FROMM : « L’aptitude à rester seul est la condition pour savoir aimer ». Vérité, liberté, solitude, amour : tout se tient…

Je vous ai promenés de la pression de notre lave intérieure, de la contrainte familiale pour la contenir, jusqu’à l’intransigeance de Jésus pour cette autre facette de l’amour qu’est la vérité qui peut conduire à l’incompréhension et à la solitude de ceux qui prétendent nous aimer…  
La famille est peut-être le premier lieu de la combinaison de tout cela.  
Comment voulez-vous que je tienne un discours expéditif et simpliste sur cette réalité si enchevêtrée ?  
Et vous voudriez que vos familles soient exemptes de complexité ?
Jésus lui-même semble y avoir été confronté, lui qui a sans doute enseigné aux siens qu’aimer quelqu’un, c’est sans doute préférer sa liberté au bien qu’on lui veut…
Est-ce ainsi que vous avez été aimés ?
Est-ce ainsi que vous aimez ?
Est-ce ainsi qu’on aime dans nos familles ?...

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